Institut Notre-Dame

Grève du 26 novembre 2024

Chers parents des élèves du secondaire,

Comme vous le savez certainement, une grève des enseignants est prévue le mardi 26 novembre, en front commun syndical Enseignement. 

Aujourd’hui, les préfètes et les éducateurs ont pris toutes les dispositions nécessaires pour licencier les élèves et pour aménager les horaires, en fonction des professeurs qui se sont déclarés en grève. Nous tenons à vous rassurer que les professeurs qui ne participent pas à cette grève seront présents et assureront leurs cours. Dès lors, l’excursion pour les 3ème année à Aubechies est bien maintenue.

Nous sommes conscients des désagréments que cette situation pourrait engendrer et vous remercions par avance pour votre compréhension et votre soutien. Nous restons à votre disposition pour toute question ou préoccupation.

Nous vous prions de croire, Chers Parents, en notre volonté de prodiguer un enseignement et une éducation de qualité. 


S. ARICKX et N. DESMET W. KERSDAG

      Directeurs adjoints                  Directeur

Projet « Là d’où viennent nos pères »

« Là où vont nos pères » est une magnifique bande dessinée signée Shaun Tan, saluée par de multiples prix.  Muette, elle embarque son lecteur au gré d’images belles et fortes, sur les pas d’un homme contraint de prendre le chemin de l’exil. 

Sur ces illustrations, ce sont onze élèves et deux enseignantes – Madame Daga et Madame Koekaerts – qui  ont posé leurs mots, pour raconter le parcours d’un proche, d’un parent, d’un éducateur ou d’un professeur, d’un migrant ou le leur.

À eux tous, grand merci pour ces récits.

Merci également à Madame Frébutte pour son article d’introduction, mise en perspective très claire des phénomènes migratoires.

Et à vous, lecteurs, bon voyage parmi ces textes émouvants…    

  1. Quelques mots d’introduction de Madame Frébutte

 

Dès l’aube de l’humanité, l’homme et la femme se sont mis en chemin, à la recherche de quoi se nourrir : c’était le temps du nomadisme, le temps de découvrir de nouveaux horizons, prometteurs pour la chasse, la pêche et la cueillette.

 

Aujourd’hui, tant d’hommes et de femmes se mettent encore en route, à la recherche d’une vie meilleure.  Ils viennent des pays d’Afrique, du Proche et du Moyen Orient, de l’Asie Centrale. Ils fuient ce que leurs semblables ont mis en place : la discrimination, le manque d’ouverture, le manque de dialogue, la violence que tout cela engendre ; ils fuient des régions dans lesquelles il n’y a pas d’avenir pour eux.

 

Au cours des siècles, l’homme et la femme ont quitté leur patrie, rejetés par un envahisseur, un régime, un système qui ne voulait pas leur laisser une place.  Ils ont pris leur maigre bagage pour se mettre en chemin, dans l’espoir d’une terre qui leur permette de s’installer, avec leurs enfants, terre qui leur promettait un travail, avec un salaire suffisant et un logement confortable. 

 

Ils quittaient des régions où le soleil réchauffait leurs corps, sous le labeur, pour une terre soi-disant meilleure, qu’ils découvraient sombre. Que de déceptions !

 

L’eldorado promis, l’eldorado rêvé avait bien souvent un autre goût que celui espéré…  Ces hommes et ces femmes sont pourtant restés, ployant parfois sous le poids d’un travail pénible que d’aucuns refusaient, souffrant dans leur cœur et leur corps, mais heureux d’offrir aux leurs le couvert pour les lendemains !

 

Aujourd‘hui, si voyager se fait de plus en plus facilement et rapidement, à condition d’avoir dans son bagage une carte bancaire, se déplacer à la recherche d’une nouvelle vie, meilleure, est de plus en plus difficile.

 

Des décisions sont prises pour interdire l’installation de candidats à l’immigration. Des barrières sont créées, des murs sont élevés pour empêcher le passage de personnes en quête d’une vie meilleure.

 

Alors, nos sœurs et frères en humanité, au péril de leur vie, tentent par tous les moyens de contourner ces obstacles.

 

Et demain… à ces personnes qui tentent de fuir leur terre d’origine, pour des raisons politiques et économiques, vont s’ajouter celles qui vont voir des morceaux de leur terre disparaître sous les flots, conséquence du réchauffement climatique.

 

Il est plus que temps de s’arrêter pour permettre à tout homme, à toute femme de trouver une place sur notre planète Terre, cette Terre qui souffre de l’exploitation excessive de ses ressources pour permettre à une minorité de ses habitants de vivre dans l’abondance, le consumérisme, alors que tant d’autres sont des laissés pour compte.

2. L’immigration d’une famille

 

            Un jour du mois d’octobre 1972, deux frères nommés Omer et Mehmet se sont inscrits pour travailler dans un pays européen. Quelques mois plus tard, leur demande a été acceptée. Ils sont donc venus en Belgique, plus précisément à Charleroi, pour travailler en tant qu’ouvriers en voirie.  Pendant qu’ils exerçaient ce métier, ils dormaient dans un logement conçu pour les ouvriers. Omer gagnait très bien sa vie en Belgique… mais il était malheureux car ses enfants et sa femme étaient restés dans son pays d’origine. Par la suite, il a donc quitté cet endroit pour louer une maison à lui, afin d’y amener sa famille.

            En allant dans leur pays natal, un accident de voiture est survenu. Mehmet est mort sur le coup. Un mois plus tard, Omer revenait en Belgique avec sa famille. Hélas, Omer, qui ne s’était pas fait examiner après l’accident, est décédé d’une hémorragie interne à l’âge de 31 ans. Sa femme, Neziha, s’est retrouvée seule avec ses trois enfants âgés de 13, 7 et 3 ans. 

Neziha était perdue car elle ne connaissait ni l’endroit ni la langue. La famille a éprouvé beaucoup de difficultés pour répondre aux besoins primaires (se nourrir, se laver, etc.) et secondaires (transports, loisirs, etc.). Le CPAS et des personnes bienveillantes lui sont venus en aide. Par la suite, les enfants sont allés à l’école pendant que Neziha travaillait en tant que femme de ménage. Cinq ans après, l’ainée est devenue majeure. Elle a commencé à exercer une       fonction pour percevoir un revenu car celui de sa mère n’était pas suffisant pour nourrir toute la famille.

Ensuite, leur situation s’est améliorée et ils ont pu aller dans leur pays natal une fois par an. Quelques années plus tard, l’ainée s’est mariée. Par conséquent, c’est la deuxième fille, Sermin, qui a dû aider sa maman et son frère pour subvenir aux besoins de sa famille. C’est pourquoi elle a travaillé dur, avec plusieurs jobs étudiant et avec sa mère, en faisant le ménage chez des personnes qui avaient une meilleure situation.

Peu de temps après, la deuxième fille a décidé de se marier avec son cousin, Hasan. Elle lui rendait visite chaque année lorsqu’elle allait dans son pays d’origine car ils avaient des sentiments l’un pour l’autre. Deux ans après leur mariage, Hasan a reçu le visa pour rejoindre son épouse en Belgique.

Ils ont tous les deux travaillé dur : Hasan a travaillé dans différentes usines et Sermin a terminé ses études et est devenue coiffeuse. Elle a exercé son métier de coiffeuse pendant une courte durée car elle a eu un job qui était plus avantageux à Bruxelles au COPA (comité des organisations professionnelles agricoles), dans le domaine de l’administration. C’est pourquoi ils ont déménagé à Bruxelles. Ils ont eu deux enfants. Leur situation financière s’est améliorée. Ils ont acheté une maison à Charleroi dans la même rue que celle où se trouvait la maison de Neziha. Suite au problème de santé qu’Hasan a eu, il a dû arrêter sa fonction dans les usines mais il était obligé de travailler pour assurer les besoins de sa famille. De ce fait avec sa femme, ils ont ouvert un snack et un magasin d’alimentation. Et enfin, ils ont eu deux autres enfants.

Actuellement, ils vivent une vie normale, ils sont indépendants et savent subvenir aux besoins de leur famille…

3. L’odyssée de mon grand-père

L’histoire de mon grand-père paternel sahraoui commence dans le Sahara.  Il appartenait à une génération de nomades, vivant de l’élevage et du commerce transsaharien. Cependant, au milieu du 20ème siècle, la région du Sahara subissait l’oppression coloniale de l’Espagne. À cette époque, l’Espagne cherchait à renforcer son contrôle sur la région, exploitant ses ressources naturelles et imposant des restrictions aux populations locales. Pour les Sahraouis, fiers de leur liberté, ces mesures étaient insupportables. Mon grand-père, comme de nombreux autres habitants, se retrouva face au choix de rester sous l’oppression coloniale ou de fuir vers des horizons plus libres. Il choisit de partir. Son exil le mena vers le nord, à Agadir, ville portuaire marocaine en pleine expansion. C’était un carrefour où se mêlaient des marchands, des travailleurs et des réfugiés venus de différents horizons. À Agadir, il fit la rencontre de mon grand-père maternel, un homme ancré dans la ville, bien que lui aussi ait été un immigre des montagnes voisines. Cette rencontre fut le début d’une relation qui a uni non seulement deux hommes, mais aussi deux familles. Dans un contexte marqué par les luttes anticoloniales et la quête d’un avenir meilleur pour leurs descendants. À Agadir, mon grand-père paternel se bâtit une nouvelle vie, mais jamais il n’oublia son Sahara.

Sources d’information :

                                               *https://journals.openedition.org/emam/866

                                               *https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Sahara_espagnol El Fal Anwar

4. Chronique

…/…/19…

J’arrive en Belgique dans le but de faire des études d’économie que je finance avec un job étudiant. Mais très tôt, ce job n’a plus suffi pour vivre. Entre l’argent à envoyer à ma famille du Maroc, le loyer et les charges, j’ai alors pris une grande décision : arrêter mes études.

…/…/…

Voilà quelques mois que je travaille dans un hôtel en tant que femme de ménage. J’ai rencontré un homme prénommé Mohammed. Il travaille avec moi et me fait souvent la cour.

…/…/…

Me voilà maintenant mariée à Mohammed.  Après des mois de galères, je suis la plus heureuse. On vit à Molenbeek dans un grand appartement, dans le quartier de la Chaussée de Gand. Il faut dire que ça ne nous dépayse pas tellement : il y a une très grande communauté marocaine qui domine Molenbeek…

…/…/2005

Deux ans après notre mariage, notre grande fille est née le 28 mars, Wissal.
Mais bon, voilà, mon mari travaille tandis que moi, je ne fais plus rien à la maison. Il faut dire que je m’ennuie ; sans diplôme, c’est impossible de trouver un travail digne en Belgique.  Je commence à regretter l’arrêt de mes études.

…/…/2007

Deux ans plus tard, notre merveilleuse fille, Rania, est née : le 30 juin.

…/…/2009

6 mars : naissance de ma troisième et, j’espère, dernière fille. On va sûrement déménager dans les prochaines années : je ne veux pas offrir un avenir à mes enfants dans un monde aussi cruel, avec le racisme qui commence à monter de plus en plus, depuis les attentats causés par un homme de notre quartier.

30/07/2012

Après quelques mois de recherches, nous avons enfin trouvé une jolie maison à Marcinelle. Nous avons enfin trouvé notre véritable chez nous !

25/10/2015

Notre cinquième merveille est née : Anas, notre petit roi de la famille.

10/06/2018
Voilà trois ans que mon fils est né et il vient de rentrer à l’école. Je décide alors qu’il est temps que je trouve un travail pour pouvoir gâter encore plus mes enfants. 

30/06/2024 
Je me rends compte maintenant de tout le bonheur que m’a apporté cette vie. Certes, j’ai laissé ma famille, mes amis, ma ville, mais ma vie en Belgique m’a donné l’équivalent en amour…

5. Depuis l’Italie

 

 

L’histoire commence peu après le départ du père de ma nonna, parti en Belgique à cause du manque quasi-total de travail en Italie. Il y a d’ailleurs eu un accord entre les deux pays, si je ne me trompe pas. Mais bref. Mon arrière-grand-mère, ma nonna et ses cinq frères et sœurs ont donc pris le train. Quand je parle de train, c’était un vieux train à l’ancienne… 

 

 

Un souvenir marquant est le wagon restaurant et le moment où ma nonna y a découvert des bananes. Elle est donc arrivée en 1962. Le trajet avait duré trois jours et ils avaient été débarqués où se tient désormais la gare centrale. La famille avait alors rejoint son père, qui travaillait dans une usine de faïence. Les parents ne parlaient pas un mot de français mais leurs enfants ont tous appris la langue. Ma nonna a d’ailleurs gardé le souvenir de son institutrice, qui lui a permis d’apprendre la langue à son niveau.  C’était une dame bienveillante à l’époque envers des « étrangers ». Les parents se débrouillaient, comme dit ma nonna, avec les mains. Un autre souvenir a été la neige : ça a été une adaptation longue et dure pour la famille, venue de Sicile, qui n’était pas équipée pour cela.  A tel point que, enfant, ma nonna a demandé ce qu’ils étaient venus faire ici, en pleurant. Puis grâce à un mariage et des économies, mon nonno et ma nonna ont pu construire leur maison à Courcelles, où ils vivent actuellement. Ma nonna avait déjà ses six filles. Elle a travaillé au consulat d’Italie et après, comme dame de compagnie auprès d’une baronne, jusqu’il n’y a pas si longtemps.  

 

6. Dans un train venu de Grèce…

 

C’est là que ses parents se sont rencontrés : dans un train, filant à toute allure dans les paysages hellènes. L’un habitait le pays, l’autre y était en vacances, mais quand l’amour lance sa flèche, rien ne peut l’arrêter. Et puis, un point les unissait : tous deux étaient grecs…

 

L’un habitait en Grèce depuis toujours, travaillant dans l’automobile. L’autre était en villégiature, même si elle rentrait en quelque sorte chez elle, sa famille ayant quitté les Balkans des années auparavant pour travailler dans les mines belges. 

 

1990 vint et, l’amour faisant bien les choses, ils donnèrent naissance à une petite fille. Deux ans plus tard, ils partirent en Belgique. 

 

Pour celui qui habitait là, ce fut le déchirement. Unique garçon de la famille, il quittait tout ce qu’il connaissait pour partir, en quelque sorte, à l’autre bout du monde. En effet, même si ce sont deux pays européens, s’en aller vers une région dont on ne maitrise pas la langue, et encore moins les us et coutumes, est tout un défi. Mais comme tout défi, il l’affronta petit à petit. Dans un premier temps, il alla travailler dans un garage grec pour ensuite rejoindre une école francophone, afin d’exercer dans un garage français. Pour prévenir le mal du pays, il retournait chaque année dans ses contrées d’origine pour aller voir sa famille. Et quand ce n’était le cas, c’était elle qui venait à lui, affrontant les températures belges pour les voir, lui et sa petite famille. 

 

Pour la jeune fille née de cette union, tout se passa pour le mieux. Parlant grec à la maison, elle fut inscrite de ses primaires jusqu’à sa troisième secondaire dans une école hellénistique pour acquérir aussi bien la maîtrise du grec que celle du français. Bien sûr, avec un nom et un prénom grecs, elle fut parfois un peu moquée lors de ses plus jeunes années mais, plus le temps passa, plus elle se sentit autant chez elle en Grèce qu’en Belgique. 

 

Le temps passa… C’est une expression qui qualifie bien leur vie. Deux personnes se rencontrèrent dans le train, le temps passa et ils eurent un enfant. Le patriarche était chez lui en Grèce, le temps passa et il fit de deux pays son chez lui. Ils parlaient grec à la maison, le temps passa et leurs conversations mêlèrent aussi bien la langue de Molière que celle de Platon. Cette histoire eut un début, le temps passa, et elle eut une fin.

7. Une nouvelle famille ici

 

Le mariage est censé être une des plus belles choses, mais lorsqu’il implique de quitter sa famille, sa maison, son pays, son continent tout court, il se transforme en une des plus grosses épreuves de sa vie. S’immiscer dans une nouvelle famille à 3000km de la sienne, avec un mari avec qui tu dois cohabiter, dans un pays occidental avec des valeurs opposées aux tiennes, fait très peur.

 

 

Devoir s’habituer à la vie dans un foyer qui n’est pas le tien, devoir comprendre chaque caractère, chaque comportement, c’est ce qui est le plus frustrant. Chaque famille a ses habitudes, donc devoir cohabiter est dur – devoir s’adapter à la vie commune avec son mari et avec sa famille car oui, je n’ai pas habité seulement avec mon mari : nous étions dans la maison familiale, tout ceci durant dix ans.

 

Cependant, j’ai eu beaucoup de chance car cette famille m’a accueillie ; j’ai trouvé une belle-sœur et un beau-frère en or qui ont su me mettre à l’aise et me faire sentir comme chez moi. D’ailleurs, leurs enfants ont été comme mes premiers enfants : j’en ai pris soin, j’ai joué avec eux, j’ai aidé leurs parents pour leur éducation. Et à leur tour, à la naissance de ma fille, j’ai ressenti un réel soutien, une réelle aide.  Ma famille me manquait mais j’ai quand même trouvé une autre famille ici.

 

Le jour où nous avons déménagé, mon mari, ma fille et moi, afin d’avoir enfin notre petit foyer et notre intimité, j’étais partagée entre de la joie, car j’avais enfin ma maison et la tristesse, car j’allais quitter ma nouvelle famille, même si elle habitait à cinq minutes de chez moi. Ça a été très dur de s’adapter encore une fois mais tout changement nécessite un temps d’adaptation.

Cette expérience m’a montré et m’a appris beaucoup de choses, notamment qu’il ne faut jamais renoncer devant une épreuve ou une opportunité de nouvelle vie sous l’influence de la peur car tu peux passer à côté de merveilleuses rencontres.

8. La peur de la mort

 

Lors d’une formation menée avec une association sur l’immigration, D. a rencontré un homme originaire du Ghana, dont il nous livre ici le témoignage anonymisé.

 

La peur de la mort, c’est ce qui m’est arrivé lorsque je suis rentré dans ce pick-up où nous étions entassés comme des fœtus, avec seulement six litres d’eau par jour.

 

Je vois encore la mort de mes parents.  Eux, qui n’avaient rien fait de mal, ont dû mourir à cause de conflits.  Nous vivions une belle vie.  Mon père était prof et ma mère, femme de ménage.  Mais le 8 décembre 2012, deux hommes cagoulés sont entrés dans ma maison.  Je pensais que c’étaient des voleurs mais ils ont dit à mon père que c’était son dernier jour. Un des deux hommes a demandé à ma mère de tuer mon père mais elle n’a pas voulu, au début.  Sauf que le deuxième me pointait de son arme, avec ma sœur et a dit que c’était soit mon père soit nous qui mourrions. Ma mère a donc tiré sur mon père et un des hommes a tiré sur ma mère. Ma sœur a voulu se venger mais les deux hommes l’ont frappée, déshabillée et violée devant moi.  Ils ont branché un genre de fer à repasser et nous ont brûlés.  Nous saignions mais nous essayions de rester en vie en l’honneur de nos parents. 

 

Un miracle du destin m’est apparu puisque, après tous ces événements, une femme m’a hébergé et m’a donné l’équivalent de 500€ pour que je quitte par la Libye.  A l’âge de 14 ans, j’étais donc obligé de partir de mon pays, ce pays qui me révolte, ce monde qui me révolte, ces guerres qui me révoltent, où les citoyens sont une arme, où il y a censure des médias, où nous ne pouvons pas nous exprimer car ces puissances mondiales font semblant de ne pas nous voir mais pourtant nous existons et nous le payons. Une passeuse, comme on les appelle, m’a demandé de payer 200€ pour partir, a transmis l’ordre à un autre passeur de venir me prendre et m’a mis dans un pick-up où nous étions une vingtaine. Ce passeur nous a expliqué que si quelqu’un tombait, il ne s’arrêterait pas. Nous avons eu dix litres d’eau chacun pour la durée de ce premier trajet. Trois jours, une semaine, un mois ?  Je n’en sais rien et ne peux même pas répondre à cette question.  Nous ne savions pas l’heure.  On ne nous la communiquait pas.  

 

Au moment où nous passions le désert, notre peur se faisait encore plus ressentir car les Touaregs, peuple nomade berbère, arrachent les voitures et laissent les gens en plein désert sous le soleil.  Mais heureusement, nous avons eu la chance de ne pas les croiser.

 

En voiture, j’ai traversé cinq pays : le Ghana, le Niger, la Libye, l’Algérie et le Maroc. Au Maroc, nous avons dû prendre un bateau de six mètres de large ; nous étions une cinquantaine et nous avions juste droit à un bout de pain afin d’être constipés, pour ne pas faire n’importe quoi dans le bateau et pour être légers. Ils nous ont arraché nos téléphones, le reste de notre argent. Une fois sur le bateau, des hommes armés nous ont surveillés. Si une personne osait bouger, on la tuait.  En plein milieu de la Méditerranée, le bateau n’en pouvait plus et s’est cassé.  L’eau a commencé à inonder le bateau.  Nous avions peur.  Je ne réfléchissais plus car j’étais sûr que j’allais mourir en pleine mer, comme cet enfant de 9 ans qui vomissait et qui est mort dans les bras de sa mère.  Elle ne voulait d’ailleurs pas le lâcher mais des hommes l’ont pris et l’ont jeté. Nous continuions quand même à essayer de ne pas nous noyer. Plus on avançait et plus de personnes mouraient.  

 

Heureusement, un bateau de la Croix Rouge s’est approché de nous et nous avons directement été pris en charge par des médecins. Nous sommes arrivés en Espagne.  Je respirais la joie car je ne pensais pas que j’allais survivre ! J’ai appris que cela faisait trois ans que je sionnais les routes pour m’échapper de mon pays.  J’ai pu faire un dernier voyage en voiture pour arriver en France et ma vie s’est améliorée. Je me suis enfin senti libre et j’ai pu faire honneur à mes parents. 

9. L’histoire de mon père

 

Moi personnellement j’ai choisi cette vignette car elle me fait penser à l’histoire de mon père. En 2003, peu après la naissance de ma grande sœur, il a décidé de venir seul en Belgique pour faciliter l’intégration du reste de la famille. Quatre ans se sont écoulés avant que ma mère le rejoigne. Puis je suis né, peu après sa venue. Trois ans après, ma grande sœur nous a rejoints, ce qui a enfin réuni toute la famille après cinq ans. Si je vous partage son histoire, c’est parce que mon père est un exemple    pour moi. Il est venu avec rien mais il a quand même réussi à se débrouiller tout seul, à ramener toute la famille. Et aujourd’hui il a la nationalité. On a une très belle maison. Et lui et ma maman subviennent très bien à nos besoins ! 

10. Merci !

 

Monsieur Leshec est un réfugié politique polonais. Il a quitté la Pologne en 1986 ; à ce moment, le pays était dirigé par le général Jaruzelki. Comme nous pouvons le constater avec la date, il y avait encore le mur de Berlin à ce moment-là, qui séparait le bloc de l’Est du bloc de l’Ouest. Monsieur Leshec est parti pour un monde plus en paix. Il a pris le train avec seulement son sac à dos et sa guitare, laissant derrière lui sa femme et son enfant d’un an. Avant d’arriver en Belgique, il a d’abord fait un arrêt aux Pays-Bas, où son épouse et son bébé sont arrivés quelques jours plus tard, pour repartir presque aussi vite, vers la Belgique. Grâce à la bonté d’une famille belge, ils ont pu vivre quelque temps chez elle, avant de trouver une certaine  stabilité financière. Dès son arrivé en Belgique, Monsieur a fait toutes les démarches pour pouvoir devenir un réfugié politique, pour pouvoir vivre en toute légalité dans ce nouveau pays. Son épouse, son enfant et lui ont trouvé un logement à Liège, car sa femme a décroché un travail dans l’orchestre philharmonique royal de la ville. Leurs demandes toujours en attente. Ce n’est qu’un an après que leur dossier a été accepté. De ce fait, sa famille et lui ont reçu les mêmes droits que des Belge et le droit de séjourner en permanence. Sa première année en Belgique a été très difficile car il n’avait aucun contact avec sa famille restée en Pologne. Il n’y avait pas toutes les technologies actuelles et le prix des cabines téléphoniques était exorbitant. Il communiquait par lettres, qui soit mettaient deux semaines à arriver, soit disparaissaient, soit encore étaient ouvertes à cause des résistants.

Pour s’intégrer et pour remercier ce pays, Monsieur Leshec a décidé de s’inscrire au conservatoire de musique de Liège, afin d’avoir un nouveau diplôme valable dans cette nouvelle région. Il a fait beaucoup d’efforts pour comprendre une nouvelle culture et les différences de mentalité. Il a décidé d’étudier le français nuit et jour. Grâce à ça, monsieur finit par maîtriser le français parfaitement et peut enfin postuler pour devenir professeur de guitare dans des académies de musique en 1990. Ce n’est qu’à ce moment qu’il décide de prendre la nationalité belge. Qu’il obtiendra un peu plus tard.

Pour monsieur, il n’y a rien de plus exceptionnel et extraordinaire que d’être accueilli par une autre nation. Pour lui, c’est un sacrifice pour le pays, qui donne de quoi vivre aux demandeurs d’asile. C’est en partie pour cela qu’il a fait autant d’efforts et aussi pour remercier non pas son nouveau pays mais son pays de cœur.

Ce que je peux dire sur cet homme, c’est qu’il m’inspire le respect et l’admiration, tout en restant fidèle à lui-même. Cela fait maintenant huit ans que l’on se connaît, qu’il me voit grandir, mûrir et qu’il m’apprend à jouer à la guitare. Il me fait rire, même si parfois je ne comprends pas toujours ses blagues, qu’il me traduit du polonais au français. Je n’ai qu’une seule chose à dire : merci d’être celui qu’il est aujourd’hui !

11. Le Kazakhstan dans mon cœur

 

Il y a six ans, j’ai déménagé en Belgique pour quitter Almaty, une ville nichée entre les montagnes du Kazakhstan. Malgré tout le temps que j’ai passé ici, je ne me sens ni vraiment kazakh, ni vraiment belge. Je me trouve entre deux mondes, sans vraiment m’identifier à l’un ou à l’autre. Même avec mes amis, je ressens fréquemment une profonde solitude, comme s’il manquait quelque chose pour que je me sente vraiment entourée. 

 

Ce qui me manque le plus, c’est tout ce qui fait la richesse du Kazakhstan. La nourriture y est incroyable, pleine de saveurs que je n’ai pas retrouvées ici. J’ai tellement de souvenirs précieux des dîners en famille, des plats traditionnels comme le beshbarmak et des saveurs uniques du koumiss, que je n’oublierai jamais. Les gens, avec leur chaleur, leur hospitalité, et cette culture vibrante où chaque week-end est une fête, me manquent énormément. Au Kazakhstan, il est courant de voir des mariages presque chaque semaine. Lors de ces célébrations, tout le monde se rassemble pour danser et profiter de la vie. 

Je trouve que ce lien social fort et cette joie de vivre sont tellement éloignés de la réalité ici. 

 

Les montagnes autour d’Almaty me reviennent en mémoire, car elles ont toujours été un refuge pour moi. Chaque week-end, nous avions prévu de camper, de respirer l’air pur et de nous   aventurer dans l’immensité des paysages. À Almaty, je me sentais libre, d’une manière presque inexpliquée, comme si l’air et les espaces ouverts me donnaient une liberté incroyable que je ne trouve pas en Belgique. 

 

Même si je reste ici encore quelques années pour achever mes études, je sais déjà que je vais partir. Il est possible que ce soit Vienne, ou un autre lieu. Il est certain que je vais continuer à chercher l’équilibre, tout en conservant Almaty et le Kazakhstan dans mon cœur.

 

12. Quitter son pays d’origine pour un mariage arrangé ! Voici l’histoire de mon papa immigré…

 

 

Mes parents sont d’origine turque mais ma maman est née en Belgique, car mon grand-père s’était déjà rendu sur le territoire belge. Ils se sont rencontrés grâce à leur famille en Turquie, dans la province de Giresun. En 2002, ils se sont fiancés mais ma maman a dû retourner en Belgique pour son travail. Pendant ce temps, elle a loué un appartement dans la cité dans laquelle elle a grandi, pour leur futur foyer.

 

Avant l’arrivée de mon papa, ma maman préparait des documents pour que mon papa ait un visa pour s’installer dans le pays.

 

En juillet 2003, ma maman est repartie dans son pays d’origine pour se marier avec son fiancé. Après cela, mon papa a donc dû migrer en Belgique pour vivre avec sa femme.

 

Après son arrivée, mon papa a dû affronter plusieurs épreuves difficiles mais ma maman était là pour le soutenir. Il s’est inscrit à l’école pour apprendre le français. Cependant, il n’a pas apprécié les études, il les a arrêtées au bout de trois mois. 

Durant ces quelques mois, il a rencontré d’autres immigrés turcs avec qui il a gardé contact.

Pendant un an, mon papa a été marchand de journaux, il les distribuait tôt le matin dans plusieurs villes de Charleroi.

 

Puis il s’est trouvé un nouveau métier, du montage en soudage, qu’il exerçait dans une usine à Anvers en tant qu’ouvrier. 

 

Aujourd’hui, mon papa gère une équipe sur son lieu de travail. Entre-temps, mes parents ont eu deux filles et un garçon. Et on a déménagé dans une maison à Jumet.

13. Madame DAGA

 

Blegny 1998

 

Je rentre dans la cage. J’ai plus ou moins le même âge que toi lorsque tu descends dans la mine, pour la première fois, dans les années 1950. 

 

Je découvre cet univers de bruit et d’obscurité, ton quotidien pendant tant d’années. Le choc est terrible. Quel contraste avec la lumière et le soleil de ton pays natal où le chant des cigales est le seul murmure que l’on perçoit.

 

Quand tu quittes l’Italie, tu es triste mais plein d’espoir. Les quelques mois passés sur les bancs de l’école ne te destinent pas à un avenir prometteur. De toute façon, on ne va pas à l’école longtemps dans le village. Il faut aider à conserver le maigre patrimoine familial : un peu de bétail, la production de lait et de Pecorino. Le travail est dur pour de maigres résultats.

 

Début des années 50, dans ta valise, quelques vêtements et tant espoir.

 « Des hommes contre du charbon », c’est la porte vers l’Eldorado. Tu la tiens cette chance de change de vie.

 

Tu franchis la mer pour rejoindre « il continente ». Tu n’es pas seul, les Italiens sont nombreux à quitter une Italie économiquement affaiblie, à l’époque.

 

A Chiasso, encadré par des militaires, tu passes une visite médicale avant de prendre le train pour la Belgique. L’accueil y est aussi froid que le climat; c’est un baraquement de prisonnier de guerre qui devient ton premier toit.

 

Tu construis ta vie, tu retrouves maman chez des amis communs. Maman, ta voisine dans ton village de Sardaigne, s’occupe des enfants du pharmacien.
D’abord, un bonheur à deux qui se multiplie pour devenir un bonheur à six. On est un peu à l’étroit dans la petite maison du Petit Paris, ce quartier d’immigrés près de Mons.

 

Des Polonais, des Grecs, des Espagnols, des Italiens (les plus nombreux) et un seul Belge se partagent les 5 rues de terre battue du quartier. Les soirs d’été, les trottoirs accueillent de joyeuses conversations dans un mélange étonnant. Tous parlent des langues différentes mais ils comprennent le langage du déraciné. Alors, quelqu’un gratte sur une guitare, un autre joue de l’accordéon, les verres se remplissent et tout le monde goûte les spécialités culinaires sous le regard fier des femmes qui les offrent.

 

Début des années 70, l’envie est forte de retourner en Italie. Tes poumons noircis de poussière de charbon ne te permettent plus de travailler. Si maman continue à se rendre à l’usine, toi, tu es un homme au foyer et tu t’occupes des enfants. Quelle révolution culturelle.

 
C’est à ce moment-là que vous décidez finalement de rester pour nous permettre d’entamer des études. Vous nous accordez la chance que vous n’avez pas eue et que nous n’aurions pas saisie si nous étions repartis.

 

Nous quittons le quartier Petit Paris pour habiter une maison plus grande où le chauffage central remplace le poêle à charbon. Il ne fait pas très chaud dans cette maison, il y manque ceux que nous avons laissés sur les trottoirs du quartier.

Les années passent inexorablement.  Si l’italien reste la langue que nous parlons entre nous, maman et toi avez un bien meilleur français qu’à votre arrivée.

Plus besoin d’aller avec des coquilles d’oeufs au magasin pour se faire comprendre, ou de mimer les animaux pour obtenir de la viande. Le supermarché et ses rayons self service ont remplacé l’épicier installé au coin de la rue.

 

A la maison, tu ne nous parles jamais du mineur que tu as été, par pudeur sans doute. Dans la maison, aucune trace de ce passé. Maman a jeté les symboles de ce dur labeur après ton accident.

Tu préfères nous raconter les traditions de cette Sardaigne tant aimée ou nous chanter des chansons en sarde. La cuisine recèle tous les parfums que nous retrouvons pendant les vacances d’été, lorsque nous retournons au pays. Tu t’appliques avec maman à recréer un peu de votre île natale mais vous vous intégrez à la culture belge que vous comprenez de mieux en mieux. Vous acceptez d’être les « macaroni souvent montrés du doigt ». Mais l’ironie est amère lorsque vous comprenez que vous êtes les « Belgicani » lors des retours en Sardaigne. Une double identité parfois troublante.

 

Sur l’île, vous anticipez un vrai retour aux sources en construisant une belle maison équipée de tous les conforts. Mais il vous faudra attendre 1992 pour y habiter définitivement. Sans nous.

Vos valises sont bien plus lourdes que lors de votre départ d’Italie. Elles sont remplies de biens matériels qui vous manquaient à l’époque.

Pour les habitants du village, un peu envieux, vous avez réussi.

 

Mais pour vous, la réussite est ailleurs.

 

Elle est dans la fierté d’avoir des enfants et des petits-enfants instruits qui peuvent prétendre à un travail moins misérable que les vôtres. Elle est dans cette formidable faculté d’adaptation que vous avez démontrée pendant plus de quarante ans. Un jour à la fois, parce que, « c’è ancora domani », pour renforcer votre intégration. 

 

 

Papa, tu nous disais souvent que quitter son pays était difficile. « Il mondo è un paese » (le monde est un village) ajoutais-tu. Cela signifiait que même si des différences étaient grandes dans les styles de vie, vivre à l’étranger, loin des repères familiers et rassurants était possible. 

 

2024

Aujourd’hui, tu dois sourire de là-haut en voyant ta petite-fille tenter l’aventure dans l’autre sens, mais avec une différence essentielle. Toi, tu étais l’immigré que l’on méprisait un peu, elle, elle est l’expatriée que l’on admire.

14. Madame KOEKAERTS. De l’Italie à la Belgique : la lumière au bout du tunnel

 

Elle, c’était Fulvia.  Lui, c’était Luigi. Ils étaient du même village, ils se sont rencontrés dans un bal donné dans un champ au Nord de l’Italie.  Elle voyageait car elle travaillait comme dame de compagnie d’une baronne romaine.  Comme la guerre était imminente, Fulvia est revenue dans son village.  Ils se sont alors mariés.  Il est parti 5 ans à la guerre.  Elle l’a patiemment attendu.  Quand il est revenu, les retrouvailles ont été fastes.  Une fille est née mais la guerre a laissé des traces : l’Italie est ruinée, la situation économique est désastreuse, il n’y a pas assez de travail ni de quoi nourrir tout le monde.  La pauvreté est à leur porte.  Les démarches ont été entreprises pour trouver un avenir meilleur.  L’émigration devenait la seule possibilité de refaire sa vie.  Luigi entrait dans les conditions : il avait moins de 35 ans et était d’une bonne condition physique.  La Belgique était favorable : il a pris pour seul bagage une valise en carton, puis un train à Milan et voilà l’aventure.  Les mines, les baraquements en bois pour dormir, la promiscuité de tous ces étrangers.  Mais il a tenu bon pendant 5 ans.  Chaque année, il revenait un peu en Italie auprès de sa famille qui l’attendait.  Quand il a eu assez d’argent, il a pris une maison juste à côté du charbonnage à Roux.  Cette maison était prévue pour 4 familles.  Chaque famille avait 2 pièces avec un WC à l’extérieur.  Sa famille pouvait enfin venir le rejoindre.  Nous étions en 1951.  Une seule malle pour faire le voyage en train d’Italie en Belgique.  Elles étaient 3.  C’était l’inconnu mais l’espérance aussi car c’était pour se retrouver.

 

Les années ont passé, le français est devenu la langue parlée à la maison pour éviter les railleries de « macaroni », « salami », « tu viens prendre le travail aux Belges », « rital »…

 

Ils n’ont jamais regretté de s’être installés durablement en Belgique : l’Italie revivait grâce à la Rai, à la cuisine traditionnelle.  De plus, la communauté italienne, la Casa Nostra, très importante dans la région, a permis de tisser des liens évidents entre les personnes vivant sur le territoire belge.

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Cabanga par Vincent Bouckaert